Les stéréotypes de genre, beaucoup d’entre nous aimeraient les dézinguer. Mais comment mener le combat subtilement ? Comment inviter les enfants à ouvrir leurs horizons au-delà des clichés, sans leçon rébarbative ? C’est tout l’enjeu des livres antisexistes qui gagnent en popularité en ce moment, comme La poupée de Lucas. Au programme, des thèmes que les enfants aiment, entre camions, poupées et pirates. En sous-texte, cependant, un message limpide : les enfants jouent à ce qu’ils veulent, quel que soit leur genre.
Un article de Julie Michel-Gielen
80% de filles contre 20% de garçons…
Saviez-vous qu’à deux ans, 82 % des filles jouent tous les jours à la poupée, contre seulement 19 % des garçons ? L’étude Elfe, menée pendant vingt ans auprès de 18 000 enfants et publiée en 2022, livre un verdict sans appel : on est très loin d’avoir éradiqué les stéréotypes de genre.
Comme vous le savez, l’organe situé entre nos jambes ne détermine pas nos compétences sociales. Et pourtant, les clichés sont bien là, et restent « limitants ». Ils restreignent les possibilités des enfants, tant en termes d’activités que d’émotions, de professions ou d’identités.
Le stéréotype selon lequel les petits garçons sont moins sensibles et plus agressifs que les filles a par exemple de nombreuses conséquences négatives. Cette norme sociale construit la violence comme une composante de la masculinité. Elle nourrit donc en partie les violences faites aux femmes.
De la même façon, l’idée qu’un homme ne serait pas naturellement constitué pour s’occuper d’un enfant a pour effet de réduire à peau de chagrin la mixité professionnelle dans la petite enfance. Et de passer du même coup le message aux enfants que ce sont les femmes qui s’occupent d’eux dans notre société. Autant dire qu’on a besoin que les petits garçons sachent qu’ils ont le droit de jouer à la poupée…
Le livre pour dire non aux stéréotypes dès la petite enfance
Comment dit-on stop à ces clichés sociétaux, à notre petit niveau ? Les livres sont des outils de choix pour déconstruire ces injonctions de genre dès le plus jeune âge. Parce qu’ils peuplent le quotidien de tous les enfants et qu’ils impactent leur développement social et culturel, les livres permettent de combattre le mal à la racine.
C’est tout l’objet de cet album jeunesse, accessible dès 3 ans. Dans ce livre bourré de bienveillance, pas de leçon de morale. On montre le quotidien de Lucas et de ses camarades, entre trottinette et brosse à cheveux. Ce ne sont pas les activités qui sont interrogées. Les jouets font partie de l’histoire de façon parfaitement dégenrée. De la même façon que les poupées devraient faire partie du quotidien de tous les petits garçons qui le souhaitent.
Les jouets tels qu’ils devraient être : des portes ouvertes pour les enfants
Les jouets sont « dégenrés », mais Lucas n’en sait rien. Il aime juste sa poupée. Et c’est là tout ce que doivent retenir les enfants en bas âge : les jouets se destinent à tout le monde.
Bien sûr, le message passera déjà moins fermement chez les enfants plus âgés, qui, dès 5 ans, ont très bien assimilé les injonctions genrées. Mais toujours est-il que le livre est là, et qu’il fait figure d’autorité. Qu’il ait 3 ans et qu’il ne se pose pas (encore) la question, ou qu’il en ait 5 et qu’il commence à douter des jouets auxquels prétendre, le petit lecteur a désormais en sa possession une mini-arme : un livre ! Un livre qui lui montre que oui, il a le droit de jouer à la poupée. Vu que Lucas le fait. Et toc.
Un album bien pensé, intelligent et sensible. Chaudement recommandé, tant pour lutter en faveur de l’égalité filles-garçons que pour proposer des représentations diversifiées.
Julie MICHEL-GIELEN est relectrice professionnelle, spécialisée en stéréotypes de genre dans la littérature jeunesse. Elle anime le compte Instagram Petite Lecture Inclusive.
Auteurs : Alicia Acosta & Luis Amavisca · Illustratrice : Amélie Graux
À partir de 3 ans
Parution : 15/03/2023